16/09/2017: Le Roi Blanc

Manu
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walena
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16/09/2017: Le Roi Blanc

Message par walena » dim. sept. 17, 2017 6:36 pm

Chris Nathan Wright traverse les rayons de sa librairie occulte. Petite et sérieuse librairie occulte. C'est l'œuvre de sa vie. Une vie qui touche à sa fin. Chris s'observe dans le miroir. Il a maigri. Beaucoup. Rapidement. Il parle à son reflet.

« C'est la fin. Des avocats s'attaquent au Black Coffee alors que le corps de Max n'est pas encore froid. Moi, ils m'ont empoisonné. Petit à petit. Depuis des mois. Je croyais que c'était la fatigue. »

Le libraire s'assied dans son large fauteuil.

« Quelque chose se passe. Je sens une présence qui m'observe, elle s'approche au fur et à mesure que je pars. »


Sur un échiquier, il fait tomber le ROI blanc. Adieu. Il ferme les yeux.

J'ouvre les yeux. Libéré de mes fers, remonté des enfers, je dois trouver ma place parmi les hommes. Je marche entre ces murs avec les gestes assurés d'un corps familier de l'endroit. Mon esprit est embrumé ; les volutes vaporeuses d'une intelligence lente mais sûre évaporent les larmes incandescentes des souvenirs enfouis d'une prison millénaire. De ce brouillard de douleurs et d'oublis émerge la mémoire précise de mon hôte défunt. L'histoire des siècles, les écrits des hommes, leurs croyances et leurs doutes se gravent en moi par chaque lettre, chaque mot, chaque livre dévoré par Chris N. Wright. L'Histoire du monde appréhendée par l'histoire d'un homme.

Un homme intelligent et aimé, grandissant sous l'aile protectrice de sa famille dans ce quartier de Philadelphie. Un homme dont toute l'énergie était tournée vers la compréhension et le savoir, vers le partage et la découverte. Philadelphie était le berceau de l'Amérique, une de ces nations qu'ont créés les hommes. Était-ce cette volonté de protéger les siens et son quartier ou était-ce pour ressembler aux minutemen, les héros de ses livres d'histoire qu'il s'engagea comme réserviste dans la garde nationale ? L'expérience ne dura pas mais il y apprit le maniement des armes et les premiers soins. Il poursuivit ensuite ses brillantes études et intégra l'onéreuse et prestigieuse « Upenn », l'université de Pennsylvanie.

Lorsque ses parents décédèrent dans un accident de voiture, Chris avait 20 ans. Son oncle, à qui appartenait le Roi Blanc, le soutint financièrement et le pressa de poursuivre sur sa voie. Chris choisit la sagesse et l'obéissance et fit de la résilience le remède à sa douleur. Son frère choisit lui la rébellion. Peu à peu il substitua au sang de ses parents le cuir et l'huile du club...

Chris se plongea dans les livres, y cherchant tantôt des réponses, tantôt des questions. Peu de sujets et d'ouvrages échappaient à son insatiable envie de comprendre et il n'était pas rare de distinguer de jour comme de nuit, sa silhouette courbée sur un livre dans les ombres du Van Pelt Dietrich Library Center, la principale bibliothèque de l'université. Persuadé qu'il fallait embrasser la complexité du monde pour le comprendre, il étudia le droit et l'économie, la géographie et l'histoire, la philosophie et les langues... Persuadé qu'il fallait remonter aux origines du monde pour en comprendre les soubresauts, il dévora les écrits anciens. Il découvrit les superstitions et les idoles.

Il découvrit que l'homme prit pleinement conscience de lui-même dans les plaines et montagnes de la Grèce, là ou l'humanité imaginait les Dieux à leur image. Dans cet épicentre de la pensée naissaient les arts et les lettres qui allaient abreuver l'orient et l'occident et les mener tour à tour à leur apogée. A travers l'Iliade et l'odyssée, à travers Socrate et Platon, Homère, Pindare et Hésiode, il apprit le grec ancien.
Des querelles intestines de ses cités et du socle inébranlable de son influence émergea la puissante Rome. Ses consuls puis ses empereurs étendirent leur territoire plus loin que nul avant eux. C'était un peuple de bâtisseurs, assimilateurs géniaux et organisateurs avisés, législateurs opportunistes dont les légions marchaient de l'océan aux déserts. A travers Ovide et Virgile, Cicéron et César, Auguste et Hadrien, il apprit le latin.
Il découvrit qu'au milieu de ce monde romanisé, au milieu des croyances polythéistes nacrées de syncrétisme et du souvenirs de dirigeants divinisés, vivait un peuple rebelle pour qui le monde avait été créé par une entité une et unique, éternelle, omnipotente, omnisciente et omniprésente, une entité juste et miséricordieuse dont le nom était considéré comme trop saint pour être prononcé. Un peuple qui avait fondé la pus ancienne religion monothéiste, un peuple qui allait engendrer un prophète que d'aucun désigneront comme le fils du Dieu unique, un homme qui allait faire basculer l'histoire de la Romanité et du monde. A travers la Torah et l'histoire du peuple d'Israël, à travers Moïse et Abraham, à travers David et Salomon, il apprit l’hébreu.
Alors qu'affaiblit et morcelé le monde romain ployait de tous côtés sous les assauts,des tribus partageant la même langue et la même foi s'unirent, conquérant de vastes territoires allant de la Perse à la péninsule ibérique. S'appuyant sur la volonté divine et la richesse intellectuelle des auteurs classiques, leurs différentes dynasties connurent des heures dorées et marquèrent leur temps par le combat, le commerce, la poésie ou la médecine. A travers les révélations faites à Mahomet, à travers Saladin et Soliman, à travers Muhalhil et Averroes il apprit l'arabe. Du fleuve du savoir, il s'en abreuvait jusqu'à en devenir un affluent, jusqu'à ne faire plus qu'un avec l'onde mouvante. Le sable du temps s'écoulait sur le lit de son fleuve d'érudition aussi sûrement que ses diplômes menés de front dans la pochette prévue à cet effet.

Entre ses recherches et ses lectures, entre ses pensées et ses travaux, Chris s'épanouissait de sa passion pour la réflexion et le débat. Réunions de travail, cafés littéraires, rêveries épistolaires, les paroles et lettres de son quotidien étaient les prolongements naturels de ses exigences universitaires. Il aimait à partager ses points de vue et à les confronter aux visions de ceux qu'il estimait. A ceux du professeur Daniel Webb tout d'abord ; Le professeur Webb avait été son mentor. Il l'avait guidé à travers les méandres administratifs et le choix infini des sujets d'intérêt à traiter. Il avait été là pour lui, tout simplement. Il avait décelé sa capacité hors norme à travailler sans repos et à ingurgiter sans sourciller, les centaines de pages d'ouvrages hermétiques qu'on lui soumettait. Il avait cru en son esprit d'analyse et de synthèse, en son talent. Il avait su lui prodiguer ses conseils éclairés et l'appuyer pour l'aider à contracter une bourse d'étude. Pas de quoi passer du Black Coffee au Vetri, du cheesesteak à la côte d'agneau fondante et des couverts en inox posés sur le zinc au service d'argenterie servi sur le bois massif ; assez cependant pour soulager son oncle et ne pas avoir ses revenus au centre de ses préoccupations, assez pour pouvoir inviter à dîner une jeune femme qui lui plaisait.

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Pr Daniel Webb

Avec la plupart de ses semblables, Chris était un homme affable et poli, courtois. Il aimait à discuter et à cerner la personnalité de ses interlocuteurs, tout en restant discret sur lui même. Mais les sujets empreints de trivialité finissaient secrètement par le lasser. Il n'aimait rien moins que les longues discussions qui embrassaient tous les sujets, ces échanges qui tel l'onde d'un grand fleuve serpentaient dans le lit des convenances, puis subitement, s'en échappaient en torrents pour soumettre les possibles au flot des arguments. De cours en soirées sur le campus, de débats en sorties, Chris s'était entouré d'un petit cercle d'amis avec qui il aimait converser et passer d'interminables soirées.

Il y avait Steve Mickaels, la tête du premier de la classe. Il faut dire qu'il l'avait été tout au long de se longue scolarité, depuis l'école de son enfance jusqu'à ses recherches dans le domaine du droit public - « comment le pouvoir judiciaire tire sa légitimité du traditionalisme, convergences entre lois britanniques et américaines » - . Tout de ses réflexions, à son planning, des rangements de ses placards au classement des livres de sa bibliothèque était minutieusement organisé. Dans sa vie bien rangée, le hasard et le risque étaient des concepts effrayants contre lesquels il luttait avec la force de ses convictions cartésiennes et de sa rigueur inflexible. Dire qu'il en pinçait pour Lysandra...

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Steve Mickaels

Lysandra était de caractère ce qu'il y a de plus éloigné de Steve. Imprévisible et tempétueuse, fantasque, bien qu'elle puisse paraître froide et distante de prime abord. Ce joli brin de femme d'apparence avait du caractère. Née en Grèce dans une famille plus qu'aisée, elle avait quitté ses parents après leur séparation. Elle avait rejoint Philadelphie où des amis de la famille l'avaient hébergé. Elle avait suivi à l'université de Pennsylvanie le même cursus que Chris en histoire antique. Chris éprouvait une réelle affection pour elle, sans arrière-pensée. Steve avait caché ses sentiments pour elle. Il faut dire que plusieurs s'y étaient cassés les dents avant lui. Le bruit courait qu'elle préférait les femmes. Une rumeur lancée par les jaloux ? Elle s'en amusait.

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Lysandra

Farrah Fowler était sans nul doute de caractère, la personne la plus proche de Steve ; mais sans sa retenue ni sa timidité. Chercheuse émérite en neurosciences et spécialiste en bioéthique, rien ni personne ne pouvaient l'empêcher d'affirmer ses convictions ; dut-elle pour cela piétiner ceux qui s'aventureraient à couvrir sa voix. Née juive comme un grand nombre d'habitants de Philadelphie, c'était pourtant une athée convaincue et même militante si des discours prosélytes venaient à polluer ses oreilles.

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Farrah Fowler

Rachel Campbell était une étudiante en sociologie, une étudiante engagée. Les droits civiques, le droit des femmes, la lutte contre la pauvreté. Tout comme elle, certains cumulent à leurs naissances les discriminations et les probabilités de choisir entre la violence ou la misère. Bercée dans ses vertes années par les chants et les espoirs de l'église noire de son quartier, elle appartenait toujours à la Progressive National Baptist Convention. Rachel s'était élevée à la force de sa plume et au calme implacable de ses convictions. Cette volonté de croire que rien n'est écrit, que sur Terre, les volontés du ciel n'existent que lorsqu'elles sont portées par la volonté des Hommes. Cette foi la portait dans ses actions et dans ses prières. Ses activités extra-scolaires nuisaient cependant à son travail et ralentissaient grandement la production de ses mémoires.

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Rachel Campbell

Dany Hunter était un jeune canadien de confession musulmane, venu de Toronto. Son père travaillait pour l'industrie pétrolière et après avoir occupé de nombreux postes à l'étranger, il avait rejoint la « Philadelphia Energy Solutions ». Sa famille et Dany l'y avait suivi. Au gré des déménagements de ses parents, il avait beaucoup voyagé et était un linguiste accompli. Inscrit dans la section littérature arabe, c'était un doux rêveur que la colère ne semblait jamais toucher.

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Dany Hunter

Adam Nkomo était la preuve vivante que l'on pouvait être sain de corps et d'esprit. Membre prometteur de l'équipe d'athlétisme, c'était un sportif complet qui avait bénéficié d'une bourse universitaire en raison de ses aptitudes physiques et de ses bons résultats. Adam était un ami de Rachel et c'est elle qui l'avait présenté à Chris et ses amis. Ils avaient même été en couple plus jeunes. Une blessure au genou l'avait écarté des stades et il préparait à présent un diplôme de coach sportif. Adam avait ça dans le sang, il savait choisir les mots pour motiver et encourager. C'était une épaule solide et un esprit affûté.

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Adam Nkomo

Emma White était la plus jeune de la bande. Dotée d'une hypersensibilité, elle appréciait que parmi le cercle d'amis personne ne la bouscule. Elle y trouvait un certain confort et bien que souvent silencieuse, ses interventions étaient aussi rares qu'intelligentes, et toujours d'une voix douce et chaleureuse, bienveillante. Amoureuse de la littérature anglaise, elle était douée d'une grande spiritualité. Elle s'intéressait particulièrement aux mystiques, qui malgré leur pudeur naturelle, souhaitaient en pensée s'élever au delà de tout, au risque de brûler d'orgueil.

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Emma White

Anthony Castello était un homme haut en couleur. Un homme aussi bavard et extraverti qu'Emma était calme et contemplatrice. Il n'y avait pour lui pas besoin d'occasion pour faire la fête, la fête était sa propre raison d'être. Anthony aimait à rire et à boire autant qu'il aimait l'Italie que ses ancêtres avaient quitté il y avait plus d'un siècle. Il étudiait ici l'Italie qu'il n'avait encore jamais visité mais qui l'obsédait pourtant. Son débit était impressionnant et il avait un avis pour tout et sur tout. Un avis souvent tranché et avisé, mais qui le devenait un peu moins au fur et à mesure que la nuit avançait et que coulait l'alcool. D'abord dans un américain parfait, ses diatribes de in de soirée finissaient dans un horrible argot italien...

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Anthony Castello

Il y avait enfin Alyson O'Donnell. Issue d'une immigration irlandaise depuis longtemps implantée dans la ville, Alyson était une catholique pratiquante. Étudiante en architecture, elle avait beaucoup de ce dont un homme peut rêver. Et Chris en avait rêvé. Elle avait sur elle ce sourire qui annonçait sa franchise et sa droiture. Étudiante appliquée et assidue, sa compagnie était toujours agréable et elle avait le don de parler de sujets délicats sans jamais blesser. Après de longs mois à se côtoyer comme amis, Chris et Alyson finirent par se rapprocher et plus que des amis, par partager davantage leurs nuits que leurs jours.

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Alyson O'Donnell

Alors que les études de Chris touchaient à sa fin, plusieurs années après le décès de ces parents, son oncle, malade, mourut à son tour d'un cancer. Il était sans enfant et les frères Wright héritèrent de la librairie. Il fut convenu que son frère en posséderait 49% et Chris 51%. Le Roi blanc fut dès lors l’œuvre de sa vie. Une œuvre à laquelle je m’apprêtais à donner un relief tout particulier. Le devais-je à sa mémoire ? Le devais-je à l’œuvre des hommes ? Le devais-je à la volonté du très-haut ?

Toujours est-il que Chris n'allait presque plus à l'université et sa présence auprès de ses amis s'espaçait un peu plus chaque semaine, chaque mois. Il avait passé des jours à régler les questions administratives et à éplucher les papiers de son oncle pour comprendre les rouages du Roi Blanc, pour connaître ses clients, ses fournisseurs, ses concurrents, ses voisins. Il se démenait pour tenir la boutique et sélectionner les ouvrages qui méritaient d'y figurer. Sa passion dévorait les autres un peu plus chaque jour. Il perdit peu à peu le contact avec ses anciens camarades bien qu'il eut la visite d'Eva. Eva, cette femme sybilline qui les avaient abordés lors de leurs soirées de débats et qui s'était parfois jointe à eux aux moments avancés de la nuit où les cœurs se partagent entre la danse, la fête et la plus sérieuse des philosophies. Une femme sur laquelle planait une aura de grâce et de mystère. Une de ses femmes qui vous rallie à ses arguments sans avoir besoin de les entendre. Une femme dont le charme se disputait à l'intelligence. Elle était passée un soir, chercher un livre dont Chris avait oublié le nom. S'il avait oublié ce nom, il ne pouvait oublier son visage...

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Eva

Le professeur Webb, lassé d'attendre la contribution de son étudiant finit par publier un livre ou il reprenait partie des travaux de Chris sans le citer. Alyson, délaissée finit par le quitter pour Gardner Herring, le quaterback de l'équipe universitaire qui lui tournait autour depuis quelques temps. Attristé mais fataliste, Chris savait qu'il était responsable de tout ou partie à ces dénouement. Et puis, Webb a du génie et Gardner était beau...

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Gardner Herring

Les souvenirs de Chris continuent à affluer en nombre et son érudition m'envoie une image riche de l'Histoire des hommes, comme si j'avais quitté leur contact il y a peu. Après sa jeunesse me reviennent les souvenirs du reste de sa vie, de son travail dans la boutique et dans sa bibliothèque, de sa dévotion aux lettres et à son quartier... Un homme bon à en juger par les témoignages d'amitié de ses voisins et contacts. Un homme qui a souvent sacrifié à son œuvre, son bonheur ; en tous cas ce bonheur auquel la plupart des Hommes de ce siècle aspirent, ce bonheur que ses semblables, les classes moyennes éduquées des nations industrialisées considèrent comme une norme. Une vie paisible à meubler son intérieur d'objets plus ou moins connectés, à trouver parmi les femmes, celle dont il fera la fierté du quartier et qui, en vieillissant supportera les moins visibles de ses défauts, à offrir à son banquier la garantie d'un revenu régulier ou de profits juteux. Et si le bonheur n'était que d'avoir un toit et un repas chaud. Si le bonheur n'était qu'un instant, une journée, une année, un moment volé à la course du temps et au bourdonnement du Monde, un instant à contempler en soi l’œuvre plus grande dont nous sommes une simple pièce...

De quoi l'Homme de ce monde tire-t-il sa plénitude ? Chris avait trouvé sa propre réponse à la question. Il avait exploré en la question des siècles de réflexion, entre les traités antiques sur le sujet et la modernité pessimiste des contemporains. Le bonheur, cette fin ultime de la philosophie... Il avait opposé les pensées d'Epicure dans ses lettres pour Ménécée aux visions plus sombres de Schopenhauer et Nietzsche. Il avait écouté les morales chrétiennes, où pour certains, remplacer le bonheur par la vertu devait devenir le but de l’existence. Les écrits posés dans les rangées bien ordonnées de sa bibliothèques, ces milliers de pensées mêlées, ces essais où l'on trouve en nombre les expériences d'autrui, Chris s'en était servi, non pour se construire une morale médiane, mais pour apposer ces expériences à la sienne ; il s'en était inspiré pour éviter leurs écueils et névroses en construisant les siennes.

Chaque personne a sa propre estimation de ce qu'est être heureux. Des satisfactions liées au bonheur, Chris avait, depuis la mort de son oncle, sacrifié celles du désirs à celles du savoir, privilégié celle du beau à celles du vrai. Il n'avait plus alors connu des femmes que des expériences heureuses mais brèves, accordant à la connaissance et au Monde plus de temps qui ne leur avait accordé. Tout juste s'était-il écarté de son chemin lorsqu'il avait croisé celui de son frère. Ou comment les liens du sang peuvent tordre les barrières d'une morale lentement et méthodiquement construite, jusqu'au fragile équilibre qui mène à la rupture s'il est brisé. Un faux témoignage ? Son frère avait besoin qu'il soit à ses côtés cette soirée. Chris s'en était accommodé, quitte à prendre des libertés avec sa mémoire pourtant fidèle, quitte à travestir une vérité qu'il avait bien souvent érigé en principe. Son frère était une partie de lui même, une de ces choses qu'on ne trouve pas dans les livres, une de ces choses qu'il faut vivre pour les comprendre, un lien qui dépasse la raison ou la morale. Les trafics, le club, Chris l'avait accepté comme il avait accepté les choix de son frère, même s'il avait choisi une toute autre voie que lui. Cette violence parfois perçue, souvent imaginée était-elle un mal nécessaire ? Le club apportait malgré tout une certaine stabilité à son quartier, un mal mieux qu'un pis. Et puis Chris avait choisit d'autres combats. Mais le combat qui l'avait tué, Chris ne l'avait pas choisi...

Mon hôte avait senti ma présence dans son dernier souffle. Chris était croyant. Pas avec cette espérance qu'ont ceux qui après une vie ratée en espèrent une autre à l'abri des épreuves ; Pas avec cette croyance des suiveurs aveugles qui cherchent une entité supérieure pour diriger une vie qu'ils peinent à guider, ni avec cette foi altruiste de ceux qui voient en Son amour, le plus beau des présents. Non, Chris croyait autant qu'il savait. Par la force de ses réflexions et de son abnégation, par la richesse de ses lectures et de ses rencontres, Chris avait déchiré un coin du voile brumeux que le Créateur avait dressé devant le cœur des hommes...

Des articles de journaux devant moi. C'est l'homme empoisonné qui les a posés là. Une carte d'un cabinet : Cabinet Summers. Elle est annotée : assassins. Je me lève. Un échiquier. Le roi blanc est à terre.

Assassiner, c'est tricher...

Je relève le ROI blanc. Personne n'a rien vu, la partie reprend.
Modifié en dernier par walena le mar. oct. 31, 2017 12:13 pm, modifié 1 fois.

walena
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Re: 16/09/2017: Le Roi Blanc

Message par walena » mar. oct. 03, 2017 10:51 pm

Le Roi Blanc:

Ouvert sur une petite cour agrémentée de deux érables de Pennsylvanie et d'un peu de pelouse, le Roi Blanc se dresse parmi les habitations et commerces; un bâtiment de brique de la période coloniale qui s'il est modeste par la taille, rayonne par son histoire et sa longévité. En son centre une demi douzaine de marches hautes mènent à une porte encadrée de colonnes blanches. Une couronne gravée dans l'albâtre domine l'ensemble et la mention "Le Roi Blanc" est apposée à la sculpture.

A l'intérieur, l'odeur du papier ancien et du bois vernis sont prégnantes, parfois occultées par celle de la cire chaude: quelques bougies regroupése sur les centres de tables et tenues éloignées des précieux ouvrages se consument lentement. A gauche de la porte d'entrée se dresse jusqu'à mi hauteur un meuble de bois abritant des ouvrages sur les échecs, des biographies de joueurs, des recueils de parties analysées ou quelques ouvrages sur l'origine et l'histoire de ce jeu ainsi que sur sa symbolique.

Quelques marches mènent en contre-bas vers une alcôve voutée dans laquelle deux tables de bois massifs se dressent. Sur ces tables des échiquiers. Du côté droit, on trouve de grandes étagères où sont rangés et classés de nombreux livres et publications contemporaines. Un présentoir est réservé aux ouvrages les plus récents. Une fois passée la petite entrée qui dessert à droite et à gauche les endroits réservés aux échecs et aux nouveautés, une pièce assez grande bien qu'encombrée se dessine.

En passant devant deux plantes d'agrément on accède, du côté gauche de la salle, à un large bureau en forme de L placé devant un escalier en colimaçon qui monte vers les appartements privés de Chris Nathan Wright. Du côté droit, de larges bibliothèques de bois abritent des livres consacrés aux arts, à la philosophie, à l'histoire, aux religions. Derrière ces bibliothèques et surmonté d'une saillie ornée de moulure, un arrière-corps semi-circulaire abrite deux tables et quelques chaises ainsi que deux vieux fauteuils, comme autant d'invitations à la lecture, à un lent abandon à la fragile alchimie des mots.

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Au centre de cet assemblage de bois et de briques où reposent par centaines des feuillets de papier reliés de carton ou de cuir, un petit escalier mène à un étage inférieur. De vieilles cartes y sont encadrées sous verre et accrochées aux murs, alternant avec des étagères de bois couvertes de livres. Un globe terrestre vieillit par le temps est placé au centre de la vaste pièce rectangulaire; la partie occidentale de ce qui constitue aujourd'hui les Etats-Unis d'Amérique y est colorée de blanc et porte la mention "Terra Incognita". Deux sculptures de marbre blanc flanquent le globe. Le long des murs et jusqu'à mi-hauteur, on trouve de petites bibliothèques. Tout l'étage est consacré aux livres anciens et à l'ésotérisme. Derrière le globe se trouve un pupitre où ces ouvrages peuvent être consultés. Enfin, dans un coin de la pièce, un peu en retrait, une grille de fer forgée bloque l'accès à un couloir vouté, la bibliothèque occulte de Chris.

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